France 2Psychorigide et autoritaire, souvent insupportable, l'homme, planqué sous sa carapace, avait toutefois laissé entrevoir ses failles. Cette année, il y a du changement dans l'air pour ce borné de Volget : suite au départ de Lisa Rivière, il devient directeur de l'école Louis-Lumière. Hum hum...
Autant dire que dans la cour, les classes ou la salle des profs, on ne risque pas de rigoler tous les jours. Rencontre avec Thierry Desroses, l'interprète de notre détestable instit préféré.

Heureux d'avoir retrouvé Jean-Pierre Volget ?
Ravi même ! Je l’adore ce Volget ! C’est un personnage tellement riche… Et puis, je commence à bien le connaître. Non, cette année, ma seule appréhension – on en a toujours ! - était liée au départ de Lisa et à cette nouvelle place de directeur à prendre. Il faut dire que Marie Bunel était si investie dans son rôle de directrice, elle collait si bien au personnage que je craignais de prendre la relève et de ne pas être aussi crédible. Mais très vite, tous ces doutes se sont envolés… Car, au fond, l’évolution de Volget en tant que directeur semblait assez logique. Dramatiquement parlant, il était intéressant de le retrouver à un poste d’autorité. Vu le caractère du bonhomme, il y avait forcément matière à des situations très cocasses… Je pense d’ailleurs que l’auteur, Didier Cohen, s’est fait bien plaisir en jouant avec les limites du personnage.

Et vous, en tant que comédien, comment avez-vous abordé cette nouvelle évolution ?
L'écriture tenait déjà si bien compte de la psychologie de Volget qu'il était finalement assez simple de fondre le personnage dans cette situation nouvelle. Et puis, ce Volget, je commence à le connaître par cœur. Du coup, il ne me restait plus qu'à l'imaginer, lui et tout son background - ses limites, ses idées établies sur l'ordre et le bon fonctionnement d'une école -, confrontés à cette fonction qu'il ne maîtrisait pas. Dans cette troisième saison, l'évolution de Jean-Pierre est aussi très jolie. J'ai beaucoup aimé l'idée qu'on le montre essayant de s'en sortir... Et cette fois, on finit vraiment par le comprendre et par parvenir à le racheter. Volget est tout simplement comme nous tous : empêtré dans ses peurs. Et le pauvre se démène comme il peut...

Y compris avec ses nouvelles fonctions...
Volget est prisonnier de sa rigidité. Une rigidité qui s'exprime à travers ses actes et ses relations avec l'équipe enseignante. Mais l'homme un peu tyrannique des premiers épisodes va tenter de s'assouplir. Bon, souvent maladroitement, c'est vrai. Comme lorsqu'à l'approche d'une grève, il pense naïvement se mettre les instits dans la poche en organisant un pot ! Mais grâce aux autres, Volget prendra conscience de sa rigidité et de sa bêtise.

Notamment grâce à Samuel...
Comme lorsqu'il était instit, c'est auprès des enfants que Volget exprime, si ce n'est sa rigidité, toute son humanité. Tout spécialement avec Samuel, le petit garçon sourd et muet avec qui il avait tissé, au cours de la seconde saison, des liens si particuliers. Et cette année, leurs rapports sont davantage explorés puisqu'il parvient à le faire entrer au sein même de son école. A travers l'histoire de Samuel, la série traite d'un sujet essentiel : l'intégration d'un enfant handicapé à école. Dans l'intrigue, Samuel prend lui-même conscience de la difficulté de cette intégration, suite à un chagrin amoureux. L'écriture est joliment intelligente. Grâce à la finesse de Didier, nous ne sommes plus dans la fiction mais bel et bien dans la vie. Au cœur de la psychologie de la différence, au sens large du terme, puisqu'il aurait pu tout aussi bien s'agir d'un enfant noir ou d'un enfant handicapé physiquement. La question soulevée dans la série reste la même : comment vit-on lorsque l'on est différent ? Parler de la différence était d'ailleurs le pari initial de la série.

Avec toujours ce souci de faire vrai...
A travers la vie d'une école, La Cour des grands tente de refléter une réalité sans toutefois trop la romancer. La série est, selon moi, une vraie création originale. Tant sur la forme que sur le fond. Une fiction intelligente, "stylée", avec des sujets forts et un traitement intéressant. A l'instar de P.J. en son temps, je trouve que La Cour des grands se distingue par sa spontanéité, sa fraîcheur. Cet autre regard sur notre société.

Cette année, vous interprétez davantage de scènes en langage des signes...
Oui et pour le grand bonheur de Lilian (Mercier, ndlr) et moi ! Grâce à toutes ces scènes partagées, notre relation s'est encore affinée. Cette année, contrairement à la seconde saison, je m'exprime en « vrai » langage des signes. L'an dernier, j'avais en effet accepté de faire du "français signé", c'est-à-dire de signer et parler en même temps. Un tour de force car la syntaxe du langage des signes et de l'oral est très différente. Et puis, le monde des sourds m'a fait part de son mécontentement : quitte à traiter d'un sujet aussi important que la surdité, autant être au plus près de la réalité. Avec Sophie Révil, la productrice, nous avons donc décidé, cette fois-ci, de signer et sous-titrer les scènes.

En tant que comédien, aborde-t-on le jeu de la même manière ?
Disons, pour simplifier, que les signes sont les mots. Tout le reste – les sentiments, l'intention, l'émotion - passe par la mobilité du visage. En tant que comédien, il ne faut donc pas avoir peur, pour une fois, d'en faire trop, et accepter de surjouer les différentes expressions. D'un point de vue plus pratique, et en plus de mon texte à apprendre, il a aussi fallu que j'adapte mes dialogues avec Samuel en langue des signes et que j'assimile certains signes que je ne connaissais pas. Un double boulot !

Avez-vous d'autres projets ?
Oui, pour le cinéma : le tournage d'un long métrage capverdien dans lequel je tiendrai le rôle principal. Et puis, j'ai aussi terminé et sorti, en janvier dernier, le premier documentaire que j'ai réalisé seul, Adolfo el Buscador (Adolfo le plongeur, ndlr). Ce film raconte le quotidien d'un petit garçon vivant seul dans une décharge publique de Santo Domingo en République Dominicaine. En juin prochain, je m'envole pour Haïti afin d'effectuer les repérages de mon prochain film. Une autre réalité – la vie dans un camp de réfugiés au lendemain du séisme qui a ravagé le pays – sera vue, cette fois, à travers le regard d'une fillette haïtienne. En parallèle, j'ai aussi en tête l'idée d'une série documentaire réalisée en Martinique.

Qu'est-ce qui vous plaît dans la réalisation ?
J'aime avoir une idée, la coucher sur papier et tout mettre en œuvre pour qu'elle prenne vie. Sinon, je dirais que ce désir s'est imposé à moi comme une autre façon de m'exprimer. Dans cette société qui a tendance à cloisonner, je pense être, comme nous tous, un canal, avec différentes choses à exprimer. Ce que je peux faire à travers la comédie, mais aussi à travers la réalisation. Si j'avais été peintre ou plasticien, les modes d'expression auraient été différents. Peu importe la forme. L'être humain est multiple et a des capacités immenses que son parcours lui permettra de découvrir tout au long de sa vie. On peut ainsi explorer un domaine sans y rester forcément cantonné. Diversifier les plaisirs ne permet-il pas de s'enrichir humainement ? Et puis, en ce qui me concerne, plus un comédien a du vécu, plus ce vécu servira les personnages qu'il interprètera.

De l'association "Aide et Action" dont vous êtes le parrain d'honneur à vos différents documentaires, en passant par La Cour des grands, tout gravite, chez vous, autour de l'éducation...
L'éducation, c'est la porte de la liberté. Je soutiens la cause de l'éduction à travers le monde depuis plus de 15 ans. Aller à l'école, apprendre à lire, à écrire est une véritable chance dont tous les enfants devraient bénéficier. Le slogan de l'association "Aide et Action" est "l'éducation change le mode". Je le crois. Sincèrement. Car c'est dans le cœur de l'être humain que peut naître la racine de la guerre. En changeant le cœur des gens, on peut espérer les rendre un peu meilleurs. Il s'agit peut-être d'une grande utopie mais je me plais à y croire.

Propos recueillis par Céline Boidin-Lounis, France 2