Née en 2017, l’application chinoise de partage de vidéos est devenue l’un des réseaux sociaux les plus populaires au monde, avec près de 1,7 milliard d’utilisateurs aujourd’hui. Pourquoi certains pays l’ont-ils déjà bannie quand d’autres, à l’instar des autorités américaines et européennes, envisagent de le faire ? Comment a-t-elle exacerbé l’affrontement entre la Chine et les États-Unis ?
Nourrie d’éclairages d’experts internationaux de premier plan (analystes politiques, géopolitiques, militaires, spécialistes de la tech, journalistes…), cette investigation fouillée explore les liens de Tiktok avec le régime chinois, avant de plonger dans la guerre que se livrent les deux superpuissances pour l’accaparement des données personnelles, nouveau pétrole de l’économie mondialisée, mais aussi des politiques étatiques de surveillance et d’influence. À cet égard, la guerre à Gaza, miroir grossissant de la lutte informationnelle à l’œuvre sur les réseaux sociaux, a vu Tsahal s’appuyer sur des informations personnelles pour conduire des opérations de ciblage de membres du Hamas, comme l’a révélé le journaliste israélien Yuval Abraham.
En deux volets, une enquête sur les dessous du réseau chinois, révélateur et amplificateur des nouveaux désordres mondiaux et de leur potentiel de chaos.
21:00 Volet 1 Naissance d'un géant chinois
En 2012, Zhang Yiming, un brillant ingénieur de Pékin, crée sa start-up, Bytedance, avec l’ambition d’égaler les leaders de la Silicon Valley. À cette époque, la Chine, intégrée au commerce mondialisé, mise sur l’innovation, associée à une certaine forme de libéralisme économique. Profitant de ce contexte, Zhang se lance sur le marché de la presse en ligne avec l’application Toutiao ("Les titres du jour"), qui rencontre un succès fulgurant.
Puis, en 2016, ce sera au tour de Douyin, une plate-forme de partage de vidéos dont la réplique mondiale, Tiktok, basée sur le même algorithme révolutionnaire, déferle sur la planète l’année suivante.
Entre-temps, le Parti communiste chinois (PCC) a pris le contrôle de Bytedance et d'autres entreprises de la tech, sommées de mettre à disposition leurs données et applications. L’objectif est double pour Xi Jinping : asseoir son pouvoir, en plaçant ces sociétés au cœur du système de surveillance et de répression du PCC, et contester l’hégémonie numérique et économique des États-Unis.
21:45 Volet 2 L'affrontement
Sous le premier mandat de Donald Trump, l’affaire Huawei, géant chinois des télécommunications accusé d’espionnage, marque le début du découplage des économies des deux pays. Devenu un rival majeur des réseaux sociaux américains, Tiktok se retrouve dans le viseur des autorités. L'application, accusée de censure, suscite également des craintes en matière de captation des données, au point que Donald Trump tente une première fois de forcer sa vente en 2020.
Face à cette offensive, les efforts de Tiktok pour se présenter comme une entreprise mondiale, indépendante de sa maison mère et du Parti communiste chinois (PCC), peinent à convaincre. Les intérêts économiques des acteurs de la Silicon Valley, qui ont besoin des données des internautes américains pour poursuivre leur croissance, vont alors trouver un écho dans la hantise sécuritaire du monde politique.
En avril 2024, sous la présidence de Joe Biden, le Congrès adopte une loi à la quasi-unanimité : Bytedance doit céder Tiktok US à une entreprise non chinoise d’ici janvier 2025, auquel cas l’application sera interdite sur le sol américain. Mais c’était compter sans la volte-face de Donald Trump qui, une fois réélu, a accordé un sursis de soixante-quinze jours à Bytedance.