Plusieurs magistrats s’y relaient pour assurer la permanence, et le reportage commence par des déferrements d’un genre inhabituel : des lycéens interpellés à la suite de manifestations de rue qui ont dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre. Premier prévenu à être présentée au juge, une lycéenne de 16 ans, élève de Terminale littéraire, qui n’avait jusque-là jamais eu à faire à la police avant de mordre un de ces agents. La substitut lui fait la leçon, puis le juge des enfants ordonne avant même son jugement une mesure de réparation, que la jeune fille prend comme une punition : « J’ai compris qu’il ne fallait pas que je me rebelle lorsque je me fais arrêter par un policier. » Puis, devant la caméra, la lycéenne « se lâche » et dit ce qu’elle a sur le cœur : « Comme je suis encore une enfant, une mineure, alors j’aurai toujours tort face aux policiers… »
Au parquet des mineurs on traite aussi d’affaires infiniment plus graves. Une autre jeune substitut est appelée pour une découverte de cadavre. Il s’agit en fait d’un fœtus à terme, trouvé dans les toilettes d’un foyer. Une jeune femme a accouché là, puis a essayé de faire disparaître le corps. Le magistrat assiste aux premières constatations faites par le médecin légiste. « S’agissant d’un nouveau-né, il pourrait pénalement s’agir d’un infanticide, et aussi d’un déni de grossesse ». Sa collègue du parquet prend le relai pour aller à l’hôpital où la jeune femme est gardée à vue : « Combien je risque ? », demande la jeune mère de l’enfant mort-né. « Je préfère pour l’instant ne pas vous répondre pour ne pas vous faire peur », répond gentiment la Magistrate. « La justice des mineurs est une justice parfois difficile, avec des moments de crise, des moments très durs à vivre », commente Christine Campan, vice-procureure, responsable du parquet des mineurs de Bordeaux.
Une autre affaire en cours nous conduit vers l’interpellation au petit matin de mineurs ayant pris part à un impressionnante série de quinze délits, notamment des cambriolages. A six heures du matin sur ordre du Parquet, les gendarmes frappent à la porte d’un jeune homme de dix-sept ans, embarqué sous le regard médusé de ses parents. « Sois respectueux ! », lui lance sa mère quand il est emmené entre deux gendarmes, menottes aux poignets. « Papa, Maman, je vous aime ! », crie le jeune qui explique ensuite en garde à vue : « Mes parents ont toujours été là pour moi, je n’ai jamais manqué de rien. Je leur dois tout le respect du monde. Mais c’est un ras-le-bol, de tout, du système scolaire, de l’autorité, des lois… » Avant d’être jugé, le jeune homme est entendu par un éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, qui tente de cerner sa personnalité, en liaison avec les juges : « Nos échanges permettent d’aborder plus en profondeur la personnalité du jeune », explique l’éducateur.
Cette immersion dense au Parquet de Bordeaux permet de mieux comprendre cette justice pas comme les autres : « C’est la particularité de la justice des mineurs, », conclut la substitut : « il s’agit avant tout protéger le mineur contre lui-même ! »