Pourquoi la nourriture qui a poussé à l’autre bout de la planète est vendue moins chère en France que les produits cultivés chez nous ?
Hugo Clément décortique nos accords de libre-échange. Il découvre les pratiques des agriculteurs à l’étranger et les conséquences directes sur les produits que nous achetons en France. On comprend concrètement pourquoi les agriculteurs français dénoncent une concurrence déloyale.
Édito de Hugo Clément, journaliste
Lors de leurs manifestations, beaucoup d'agriculteurs se sont rendus dans les supermarchés pour dénoncer la concurrence déloyale… Des agriculteurs bio mais aussi des conventionnels ! Tous accusent les accords de libre-échange d’être responsables de leurs difficultés économiques. On a voulu comprendre : comment sont négociés ces accords ? Est-ce qu’il y a réellement une concurrence déloyale ?
Nous sommes tombés à la renverse, notamment en enquêtant sur le cas des lentilles. La plupart de celles vendues en supermarchés proviennent du Canada, alors qu'on sait très bien cultiver des lentilles en France. Si les lentilles du Canada sont moins chères, c'est parce que les cultivateurs ont le droit d'utiliser des techniques interdites chez nous, qui impliquent l'utilisation de pesticides juste avant la récolte... Ces lentilles canadiennes inondent le marché français au détriment de nos agriculteurs, et nous finissons par ingurgiter des résidus de pesticides.
Nous avons aussi compris pourquoi les producteurs de noisettes, ou encore les éleveurs d’agneau, sont autant en difficulté en France. Ils subissent bien une concurrence déloyale, nous avons réussi à la filmer. Nous avons voulu suivre ceux qui se battent pour qu’on empêche les produits qui ne respectent pas nos règles d'entrer sur notre marché.
Des séquences exceptionnelles
Preuve en images : des lentilles canadiennes importées en France sont aspergées de pesticides quelques jours seulement avant la récolte

Pour pouvoir récolter les lentilles (les graines), il faut que la plante meure. En France, ça se fait naturellement avec la chaleur de l’été. Mais, au Canada, il ne fait pas assez chaud au moment de la récolte. Les plantes sont donc tuées à coup d’herbicides épandus par avion. C’est une pratique totalement illégale en France, et pourtant les paquets de lentilles canadiennes et françaises se retrouvent côte à côte dans nos rayons.
On a fait les tests : on mange des résidus de glyphosate dans les lentilles canadiennes, mais pas dans les françaises

Nous avons fait analyser des paquets : sur les lentilles cultivées en France, on ne retrouve aucune trace d’herbicide, même quand elles ne sont pas bio. Mais, dans les sachets de lentilles canadiennes, on a trouvé des taux significatifs de glyphosate. Qu’on finit donc par consommer.
Monsanto et des producteurs de lentilles au Canada ont réussi à faire changer la réglementation européenne : les taux de résidus de pesticides autorisés ont été multipliés par 100 !
Jusqu’en 2012, la limite de glyphosate restant sur les lentilles était de 0,1 mg/kg. S’il y en avait plus, c’était illégal. En 2012, la limite est passée d’un trait de plume à 10 mg/kg, 100 fois plus ! Que s’est-il passé ? Monsanto, soutenu par les producteurs de lentilles canadiennes, a fait changer la réglementation européenne. Pour pouvoir importer plus de lentilles chez nous.
Les petits arrangements du dernier accord de libre-échange entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande

C’est un accord qui était présenté comme “vert et juste”. Mais en y regardant de plus près, on se rend compte qu’il augmente les importations de beurre de Nouvelle-Zélande, à l’autre bout de la planète ! Il permet aussi d’augmenter les importations d’agneaux, alors qu’on n’impose pas aux éleveurs néo-zélandais les mêmes contraintes qu’en Europe. Ils font par exemple passer les moutons sous les douches de pesticides dont les substances sont interdites en Europe.
USA : comment des éleveurs ont arrêté le bœuf aux hormones pour pouvoir commercer avec l’Europe
Voici un exemple qui marche : nous sommes allés rencontrer les éleveurs de bœuf qui veulent commercer avec l’Union européenne au fin fond des États-Unis. Ils ne peuvent plus donner d'hormones de croissance aux bœufs destinés au marché européen - alors que ça se fait chez eux. Ils sont très souvent contrôlés pour que cette règle soit respectée.
Des combattants
Benoît Merlo

Benoît Merlo cultive des lentilles dans l’Ain. Depuis plus de dix ans, cet agriculteur passionné se démène pour limiter les intrants chimiques dans son sol. Il se bat contre la concurrence déloyale des lentilles canadiennes, produites avec des pesticides interdits en Europe, et pour être mieux rémunéré.
Thomas Uthayakumar


































