En 1938, le seul festival international dédié au 7ème art a lieu à Venise, en Italie. C'est la célèbre Mostra qui, cette année-là, est prise en otage par le régime fasciste de Mussolini et par son allié, l'Allemagne nazie. Les deux grands prix sont attribués à des films de propagande italien et allemand.
Un haut fonctionnaire français, Philippe Erlanger, a alors l'idée d'un festival de cinéma qui pourrait faire concurrence à la Mostra et s'opposer à ce coup de force sur la culture, un "festival du monde libre". Le ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-arts, Jean Zay, s’enthousiasme pour le projet. Une course contre-la-montre s’enclenche : il faut convaincre les Américains de participer et, surtout, choisir la ville qui accueillera l’événement. La concurrence est forte : en coulisse, une bataille d’influence se joue entre Cannes et Biarritz, qui semble tenir la corde. Mais la mobilisation des Cannois, menée par l’hôtelier Henry Gendre, père de l’acteur Louis Jourdan, finit par l’emporter.
La première édition du Festival de Cannes est enfin prête début septembre 1939. Mais l’histoire va en décider autrement : le jour-même de l’ouverture, la Seconde Guerre mondiale éclate. Les promoteurs de l'événement sont alors pourchassés, Jean Zay est arrêté, emprisonné puis exécuté par la Milice. Philippe Erlanger passe la guerre dans la clandestinité, caché par le patron d'un palace cannois. Il faudra attendre 1946 pour que le Festival voit enfin le jour, et devienne le symbole de la France libérée et de la victoire des Alliés.
Aujourd’hui encore, la sélection cannoise est toujours imprégnée du même souffle de liberté et de résistance, comme le rappelle pour "Affaires sensibles" son délégué général Thierry Frémaux.
Le premier Palais des festivals, inauguré en 1947, doit aussi beaucoup à la mobilisation d'un allié inattendu : la CGT ! Le plus puissant syndicat du pays met ses forces à disposition du gigantesque chantier. Sa secrétaire générale, Sophie Binet, rappelle que ce soutien, au nom de la culture populaire, reste gravé dans l'ADN du festival. Ce sont toujours des cheminots qui assurent bénévolement une partie de la sécurité et le syndicat garde, aujourd'hui encore, un siège au conseil d'administration.
Une enquête de Mallory Ahounou, Michel Pignard et Vincent Barral.