“La ligne bleue” : « Le chant des vivants » lundi 13 juin sur France 3

Mis en ligne par Jean-Marc VERDREL samedi 11 juin 2022 1228
“La ligne bleue” : « Le chant des vivants » lundi 13 juin sur France 3

À découvrir dans “La ligne bleue” lundi 13 juin à 23:00 sur France 3, le documentaire musical inédit « Le chant des vivants » réalisé par Cécile Allegra.

À chacune des vacances scolaires, Anas, Egbal, Bailo et les autres débarquent dans le petit village de Conques, en Aveyron. Tous sont des survivants des camps de torture de Libye. Tous ont enseveli la mémoire de leur exil et enfermé en eux leur enfer. Grâce à un travail musical mené pendant les séjours, ils vont tenter de faire ressurgir cette parole murée, pour la livrer sous la forme d’une simple chanson.

Survivants de la longue route de l’exil, de jeunes filles, de jeunes hommes arrivent à Conques, au coeur de l’Aveyron. Un village, une Abbatiale historique sur un chemin de pèlerinage.

Là, une association, Limbo, entourée d’habitants accueillants, permet au groupe de se poser un temps. Venus d’Erythrée, du Soudan, de Somalie, de Guinée, de RDC... ils marchent, discutent, respirent, mais ne se défont pas du souvenir de la mort qui hante leur mémoire. Elle les rattrape au détour d’un chemin, au creux de la nuit, au gré d’un échange avec les autres à table, au réfectoire. Alors un jour surgit une idée un peu folle. Comme une expérience collective. L’histoire commence à l’automne dans ce petit bout de France et se terminera en juillet, dans l’éclat d’un été, au bord de la rivière du Dourdou, qui coule au fond de la vallée.

La réalisatrice pose sa caméra dans une bibliothèque, la cuisine d’une maison, dans un coin d’une ancienne grange. Un à un, les jeunes survivants entament avec elle, un long échange libre de toute contrainte chronologique pour évoquer ce qui les a profondément marqué dans l'exil. Se dégage alors une obsession, un thème qui sera celui de la chanson. À partir de mots notés, ensemble, ils commencent à écrire.

Plus tard vient le temps de la musique, accompagné par Mathias Duplessy, l’une des grandes plumes de la musique du monde en France. Au fil de l’année, chacun des membres du groupe écrit une, parfois deux chansons. Tous finissent par trouver le chemin vers une mélodie qui leur permet de mieux se faire entendre. Une voix différente, une langue commune. Les saisons s’égrainent, les corps se délient, les plumes s’affinent, les voix se lèvent. Les neuf chansons composées redessinent la route de l’exil, disent la douleur traversée… et créent, ensemble, un grand chant des vivants.

Note d'intention de Cécile Allégra :

Le désert, les camps, la torture, la faim.

La Libye, la mort.

La mer… la terre, enfin.

Quand les récits s’épuisent, quand tous les mots s’usent, comment faire entendre une douleur qui reste indicible ?

Dans toutes ces années où j’ai pu accompagner des survivants de la longue route de l’exil et ceux qui sont passés par la Libye avant d’arriver en Europe, j’ai entendu quantité de récits. Une chose m’a frappée. Après un long, très long temps de silence certains peuvent se livrer, comme ça, bim, alors qu’on ne s’y attend pas, qu’on fume tranquilles sur un muret du village, dans le soleil couchant. On parle de tout et de rien et d’un coup, tout sort dans un flot continu : une parole précise, tranchante, d’une incommensurable violence, un vrai tsunami où aucun détail n’est omis. Au bout de dix, vingt, quarante minutes, tout se referme. Et c’est fini.

Cette parole qui émerge comme expulsée du corps me fait penser aux mots de Robert Antelme, poète et résistant français qui disait des récits de ses anciens camarades de détention : c’est une ​“véritable hémorragie d’expression”. ​Une forme de besoin primaire, vital, qui saisit le survivant et le force à raconter, là, tout de suite, maintenant. Ceux qui parviennent à faire cela ont déjà de la chance : c’est le signe qu’ils veulent (et peut-être peuvent) continuer de vivre.

Les autres, Primo Levi les appelait “ceux qui ont vu la Gorgone”5. Ceux là sont (re)venus muets. “Ils ne sont pas revenus pour raconter”, disait Primo Levi, ils sont “les engloutis”. Engloutis par l’horreur, la parole leur fait défaut, c’est le corps qui parle à leur place. L’un des jeunes que j’ai rencontré, Fahran, présentait la liste intégrale de ces symptômes : tremblements, sueurs froides, hallucinations, anorexie, vomissements, vertiges, insomnies. Il prétendait qu’il ne lui était quasiment “rien arrivé” comparé aux autres. Culpabilité du survivant.

Pour les uns, parler ne suffit pas à être entendu. Pour les autres (nous autres, sur la rive des vivants), écouter ne suffit pas à entendre, encore moins à comprendre. Avec l’association Limbo que j’ai créée, entourée de personnes qui ensemble se posent constamment et avec la même exigence les mêmes questions, nous avons inventé des vacances thérapeutiques. De jeunes surviivants viennent dans l’Aveyron pour participer à ces sessions que nous espérons réparatrices.

Dans ce petit village de l’Aveyron, un ​espace a été créé par “Limbo” pour permettre à ces jeunes survivants, non pas de parler ​forcément,​ mais de ​pouvoir le faire : les séances d’art-thérapie travaillent sur la mémoire du corps, la réparation, le lien à l’autre. Mais quand les jeunes ne peuvent pas dire, souvent, ils chantent. Ils improvisent des petits textes, qui parlent de l’exil, des espoirs qu’il porte et de ce qui les détruit. À Conques, la musique est omniprésente chez eux : ils ont les écouteurs vissés aux oreilles, improvisent des fragments de chansons qui émergent souvent dans des situations incongrues... Une idée un peu folle alors a surgi. L’idée de trouver un langage pour rendre audible ce qui est indicible. Alors j’ai invité à Conques un ami musicien, Mathias Duplessy. Ensemble, nous avons travaillé sur des chansons avec quelques jeunes survivants de Limbo qui se sont portés volontaires, pour faire des essais de mise en mots, de mise en musique. L’envie de chanter déverouille petit à petit l’impossibilité de nommer les choses : car avant de pouvoir chanter, bien sûr, il faut prononcer, puis fixer les mots justes. Avec ces jeunes, j’ai fini par trouver un chemin vers ce film, j’ai trouvé un langage cinématographique pour rendre audible ce qui est indicible.

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Publié dans Documentaires
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