23 millions de Français vivent en copropriété, soit près d’un sur trois. Or la vie dans ces résidences n’est pas toujours une sinécure. La copropriété renferme ses règles implicites, ses luttes de pouvoir, ses débats mouvementés et ses projets au long cours... comme un reflet de la société.
Pendant près d’un an, une équipe de "Reportages découverte" a pu se plonger dans deux grandes « copro ». L’une, très chic, dans le golfe de Saint-Tropez. L’autre, dans un immeuble plus classique à Rouen. De la gestion des poubelles et des pelouses au choix des couleurs des peintures communes…
Immersion dans l’univers pas toujours très agréable des copropriétés...
Aux Restanques du Golfe de Saint-Tropez, somptueux domaine de 25 hectares arborés, les habitants ont - pour maintenir l’harmonie - adopté une règle d’or : ne surtout pas parler des problèmes qui fâchent. Excepté quelques irréductibles qui n’ont pas peur d’exprimer leur mécontentement : « Je vais vous montrer des petites choses qui me dérangent : cette montagne de poubelles par exemple. Avouez que quand on fait 1000 km pour venir passer huit jours de vacances dans le Golfe de Saint-Tropez, qu’on paie un certain prix pour une maison avec sa famille, on n’a pas forcément envie de voir ça. Ça gâche un peu la carte postale… »
Cet immense domaine de 600 logements, avec ses trois piscines dont une à vagues et ses animations estivales, était autrefois entièrement administré par des spécialistes du tourisme qui, un beau jour, ont abandonné la gestion, laissant les copropriétaires livrés à eux-mêmes. Aussi, depuis quelques mois, les Restanques sont devenues le terrain d’une amusante guerre de tranchées entre voisins avec d’un côté, un copropriétaire élu chef de village avec des pouvoirs importants et de l’autre, une poignée d’opposants qui veulent reprendre leur avenir en main. Et tant pis, si cela crée quelques remous. « Ce que certaines personnes n’acceptent pas, c’est que nous, on est élus par les propriétaires. Or, pour certaines décisions, ils voudraient que cela soit re-décidé à nouveau par tout le monde. Pour eux, si on veut dépenser 1000 euros, il faut les consulter à nouveau. Eh bien non ! C’est comme un gouvernement, comme une mairie, il y a des élus qui décident. Tant qu’on est dans notre budget, on dépense. »
À l’opposé de ce décor de carte postale, Le Bel Horizon, sur les hauteurs de Rouen, est une résidence plus classique où quelques habitants tentent de faire respecter le règlement intérieur à la lettre. Non sans rencontrer une certaine résistance. « Les gens ne sont pas tous seuls et ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent. Il y a des règles à respecter. Elles ne l’ont peut-être pas été pendant quelques années ou de façon un peu plus laxiste… Nous, on essaie de remettre un peu d’ordre … On souhaite avoir une belle copropriété, de beaux immeubles, donc il faut que les gens se plient. Sinon, ils n’ont qu’à aller en maison individuelle. » Avec un nom pareil, cette copropriété était pourtant prédestinée à connaître un avenir radieux. Que s’est-il passé pour que Le Bel Horizon, tout à la fois, perde de sa superbe et de son harmonie ? Ce qui arrive souvent dans cette société en miniature qu’est la copropriété : une histoire de jeux d’influence. « Cette terrasse, je pensais qu’elle était à moi ! Le conseil syndical m’a expliqué que la terrasse ne m’appartenait pas et qu’un accord verbal avait été donné à la propriétaire de l’époque pour en avoir la jouissance privative. Mais comme cela n’a jamais été voté en assemblée générale, le conseil syndical estime aujourd’hui que cette terrasse doit être retirée ! »
Derrière les façades de ces deux résidences bouillonnent ainsi des vies, des envies, des frustrations, des jalousies… Les mêmes qui peuplent le quotidien de Gilles Frémont, sémillant gestionnaire de copropriété depuis 20 ans.
À son actif : la gestion de centaines d’immeubles en région parisienne, plus de 2000 heures d’assemblées générales, des fuites plus ou moins graves, des conflits de voisinage, des assignations pour paraboles illégalement installées ou d’interminables sessions de travaux. Une seule journée dans la vie d’un syndic peut se transformer en montagnes russes… en ce qu’elle peut contenir de réalisations de projet, de négociations réussies ou sabordées, de moments de partage et plus souvent en ce qu’elle comporte de moins supportable : des pannes, des doléances, des menaces et même des deuils. « Là, on est sur les toits de Paris, j’adore ! On domine la ville ! On sait qu’il y a toute cette vie-là, en-dessous, chacun dans son appartement. Mes copropriétaires sont en dessous. Je me demande ce qu’ils fabriquent en ce moment… Est-ce qu’ils sont en train de m'envoyer des mails pour me dire qu’il y a trop de bruit, trop de poussière ? Je découvrirai cela en rentrant ! » Gilles a pris le parti de s’en amuser. Il compile les anecdotes pour raconter les coulisses de cette micro-société ramenée à une cage d’escalier. Dans l’espoir aussi de redonner à sa profession, ses lettres de noblesse.
Entre la nécessité de bien s’entendre et les petits travers de tout-un-chacun, bienvenue dans le monde délicieux de la vie en copropriété.