Après la Deuxième Guerre mondiale et jusqu'aux années 1980, sur décision de justice, 40 000 jeunes Françaises ont été placées dans les établissements de la congrégation du Bon Pasteur, qui faisaient office de "maisons de redressement". Châtiments corporels, travail forcé, voire abus sexuels : elles y ont subi de graves maltraitances. Aujourd'hui, 300 d'entre elles, au sein d’une association, demandent des excuses officielles de la congrégation et de l’État.
Longtemps, elles furent appelées "les mauvaises filles". De la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1980, 40 000 jeunes Françaises ont été placées par la justice dans les couvents de la congrégation du Bon Pasteur. Une institution qui faisait à l’époque office de "maison de redressement" pour jeunes filles.
Auditionnées par la commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires
Des centaines d’anciennes pensionnaires se battent aujourd’hui pour dénoncer les mauvais traitements infligés par les religieuses. Auditionnées lors de l’affaire Bétharram par la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires, elles demandent des excuses officielles et la reconnaissance de leur statut de victime. Un scandale resté longtemps oublié, dont "Affaires sensibles" dévoile l’ampleur.
Dans les années 1960, Eveline, Marie-Christine et Lien ont été placées par la justice dans différents centres de la congrégation du Bon Pasteur. Dans leur dossier, les motifs invoqués semblent surréalistes : l’une se voit reprocher de ne pas se laver assez souvent, une autre son "esprit rebelle", une troisième un excès de sorties qui la mènerait vers un comportement de "future prostituée" !
Des filles trop indépendantes, "rebelles", ou victimes d'agressions sexuelles
En réalité, 10% à peine des jeunes filles placées au Bon Pasteur se voient reprocher de réels faits de délinquance. L’écrasante majorité doit leur placement à une recherche d’indépendance encore mal vue à l’époque. Ou, pire, parce qu’elles ont été victimes d’agressions sexuelles : accusées de jeter la honte sur leur famille et d’être "des proies faciles pour le vice", on préfère les enfermer loin des regards.
Dans ces centres, aucun enseignement scolaire n’est dispensé aux jeunes filles de plus de 12 ans, parler est interdit. Travail forcé, humiliations, maltraitances corporelles, et même abus sexuels : la liste des traitements qu’elles racontent avoir subis et des méthodes pour le moins musclées des religieuses est édifiante. Condamnées au silence et à l’enfermement, certaines pensionnaires multiplient les fugues, d’autres mettent fin à leurs jours.
La fin de l'omerta
Pour les filles du Bon Pasteur, il aura fallu des décennies de silence avant d’oser briser l’omerta. C’est en découvrant le film The Magdalene Sisters, qui dénonce l’enfermement de jeunes Irlandaises dans un couvent, que les langues se délient. “J'ai eu un choc en voyant le film. C’était mon histoire ! Je suis tombée sur des forums où des anciennes discutaient de ce qu’elles avaient vécu au Bon Pasteur. J’ai passé ma nuit à lire leurs témoignages. J’ai compris que ce n’était pas normal, qu’il fallait parler”, raconte Marie-Christine.
Regroupées dans l’association Les Filles du Bon Pasteur, 300 femmes demandent aujourd’hui des excuses officielles à la congrégation religieuse et la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans leur placement abusif. À près de 80 ans, elles entendent bien mener le combat jusqu’au bout.
Pour l’heure, si la Congrégation du Bon Pasteur n’accueille plus de mineures placées par la justice et a pris ses distances avec certaines pratiques, aucune excuse n’a encore été officiellement formulée.
Une enquête de Marine Haag, Adrian Jaouen, Arnaud Morel et Juliette Orcel.

































